samedi 28 mars 2020

Sans titre.

Ces temps-ci, j'avoue avoir du mal à me concentrer sur mon travail, ma famille et sur ce qui fait ma vie habituellement.

Ces temps-ci, j'avoue être préoccupée par ce qui touche l'humanité.
Cet événement inédit qui perturbe le monde entier, qui inquiète et qui tue.

Je m'excuse donc si mon blog est un peu plus au ralenti ces jours-ci.

Je suis à la fois touchée et agacée par ses élans de sympathie et de remerciements envers les soignants.
Pourquoi ?
Parce que nous, soignants (au sens large), pompiers, caissières, éboueurs et j'en passe, faisons notre travail, comme il se doit, comme à notre habitude. Dans des conditions plus difficiles, soit.
Nous sommes "au front", comme ils disent, les héros du quotidien ? 
Faut-il une catastrophe planétaire pour s'en rendre compte ?
Nous sommes toujours au front avec des conditions de travail déplorables parce qu'il faut faire du chiffre. 
Nos prises en soins sont guidées par la T2A. Mais qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer la T2A ? La tarification à l'activité ?
Voilà ce qui tue l'hôpital.
La santé et la vie de l'Homme n'a pas de prix.
Ils le comprennent aujourd'hui mais c'est trop tard.

Ces élans de sympathie et de remerciements sont agréables mais agaçants donc.
Et ils me font penser à cette chanson de #Zazie : 

http://www.deezer.com/track/125537928

J'étais là et j'ai rien fait.

Il est temps de faire autrement.
De respecter l'Homme et la nature.
Écoutez comme la nature reprends le dessus, écoutez la nature pousser, chanter, vivre.
On est fait pour vivre avec elle et non contre elle, a coup de T2A, de surconsommation et de pesticides.



dimanche 22 mars 2020

Le calme avant la tempête ?

C'est mon premier week-end de repos et de confinement. J'ai la chance d'avoir un beau jardin alors évidemment, j'en profite.

J'entends les multiples oiseaux chanter mais je ne les vois pas.
J'entends de la musique classique provenant de ma maison, elle est portée par la brise printanière, jusqu'à moi.
Je me laisse envahir par la nature. Je sens la chaleur des rayons, le vent sur ma peau, le silence de la forêt toute proche.
Je vois des papillons et même une grenouille.

Le temps semble être figé. Peu de traces de l'être humain, peu de voiture, pas d'avion.
Juste le soleil brillant, les oiseaux et la liberté du vent.

Cela pourrait être agréable et bucolique si le chaos n'était pas attendu dans les hôpitaux mondiaux.


mercredi 18 mars 2020

Une autre dimension

En ces temps particuliers, je pense à certains de mes patients qui vont mourir seuls et à leur famille isolée, démunie, culpabilisée.
Je ne suis que poussière au milieu de cette grande agitation.
Je ne suis que poussière devant cette grande incompréhension.

En ces temps particuliers, je pense à ces derniers hommages qui n'auront pas lieu.
A ces prières soufflées par le vent, éparpillées, aux pleurs dans le vide, aux au-revoir avec comme seule réponse l'écho de leur voix.
Mourir seul.
Enterré seul.

En ces temps particuliers, je pense aux SDF, aux migrants, aux réfugiés.
Habituellement seuls dans la foule, aujourd'hui seuls dans le vide.
Encore plus seuls dans leur solitude.

Il y a des hommages par-ci par-là pour les soignants.
C'est gentil.
Mais moi, je ne suis que poussière au milieu de cette grande agitation.
Je ne suis que poussière devant cette grande incompréhension.


mardi 10 mars 2020

Un crabe nommé Adolphe

Un homme survole sa vie depuis quelques mois. Un tiers de son corps est mort. Il ne sent ni ses jambes, ni son abdomen. 
Il lui reste la mobilité de ses bras et toute sa tête qui compense par des idées noires.

Il y a moins d'un an, la médecine lui annonce qu'il a l'un des cancers les plus mortels.
Le crabe est né dans le pancréas et, de son allure biaisée et sournoise, il a rampé jusqu'aux organes voisins.
Le crabe. Ou Adolphe. 
Voilà le nom de sa maladie, selon cet homme.

Pour le moment, et depuis la découverte du crabe, il a peu de symptômes digestifs. Sa maladie progresse dans l'ombre et l'indifférence.
Alors Adolphe s'est dit, puisque c'est ainsi, je vais progresser jusqu'aux os et briser une vertèbre du rachis. 

En une poignée de minutes, sa vie a basculé deux fois à quelques mois d'intervalles.

Il est malade et le crabe sera plus fort que lui. Mais avant de mourir, il lui a ôté son indépendance, sa liberté et sa dignité.

Putain de crabe.


dimanche 1 mars 2020

L'enfant désiré

J'ai débuté ma carrière d'infirmière en réanimation néonatale dans un grand CHU pédiatrique parisien. Pour des raisons personnelles, j'avais besoin de rendre ce qu'on m'avait donné.

J'ai croisé des pathologies incroyables et j'ai eu des soins particuliers à prodiguer, que je ne pratiquerai certainement plus. J'ai beaucoup appris, mais j'ai aussi été rapidement confrontée à la mort du nouveau-né, sans vraiment être y préparée.

Dans ces chambres, la temporalité n'a pas de sens. Il y a, dans ce petit espace, une naissance, une joie, des larmes, un cri, une souffrance indescriptible des parents.
Toutes les émotions sont réunies et exacerbées.

Comment conjuguer naissance et mort dans un même espace, dans un même temps ?
Tout se joue dans une forme de dimension parallèle, hors du temps, hors des saisons, hors de la vie.

Ces petits corps sont frêles et transparents, on peut aperçevoir leur capital veineux, fin comme une toile d'araignée. Les battements du cœur sont visibles sous la peau trop neuve. La vie est rythmée par le bruit incessant des scopes. 
Ces petits êtres nés trop tôt ou trop mal, pour qui la pesanteur, la lumière et le bruit sont des agressions perpétuelles, sont privés du contact de leurs parents. Leur petite vie débute dans une atmosphère froide et aseptisée, loin de la peau et du sein maternel.

Les parents démunis sont suspendus au souffle de leur enfant, un souffle si fragile, parfois assistés par des machines deux fois plus grande que leur incubateur. Des parents funambules sur le fil de la vie de leur bébé.
Ces enfants sont seuls et perdus dans l'immensité de la médecine  qui lutte coûte que coûte contre cette mort injustement prématurée.

Quel language utiliser face à l'incompréhensible ?
Comment soutenir l'Insoutenable ?
Tout est à créer dans ces moments si particuliers. Un langage nouveau s'exerce et se renouvelle constamment. 

Je me souviens de cette petite fille, venue au monde comme n'importe quel enfant en bonne santé. Dans la salle de travail, sur le sein de sa mère, cette petite fille a fait un AVC hémorragique massif. Sans crier gare, à une heure de vie, le vie bascule.
Elle est arrivée dans notre service très rapidement mais nous savions tous que c'était peine perdue.
La souffrance des parents etait telle que je n'ai pas trouvé de mot pour les soulager.
Il faut accueillir, écouter, rassurer mais rassurer de quoi quand le même jour une petite vie toute neuve synonyme de joie bascule en un jour noir et froid ?

Au bout de 2 ou 3 jours, cette petite vie s'éteint, insoutenable pour les parents, ils me délèguent les dernières heures. Tandis qu'ils vont chercher du réconfort dans les cieux et les prières, moi, j'ai emmailloté ce bébé et dans mes bras, j'ai accompagné son dernier souffle.
Puis, je lui ai fait un dernier bain, je l'ai séché, mis un pyjama blanc, je l'ai de nouveau emmailloté et j'ai appelé les parents.

Je n'ai jamais ressenti autant de reconnaissance, de chaleur et de regards bienveillants de la part d'une famille,  que depuis ce jour là.

L'éthique de l'écriture