J'ai débuté ma carrière d'infirmière en réanimation néonatale dans un grand CHU pédiatrique parisien. Pour des raisons personnelles, j'avais besoin de rendre ce qu'on m'avait donné.
J'ai croisé des pathologies incroyables et j'ai eu des soins particuliers à prodiguer, que je ne pratiquerai certainement plus. J'ai beaucoup appris, mais j'ai aussi été rapidement confrontée à la mort du nouveau-né, sans vraiment être y préparée.
Dans ces chambres, la temporalité n'a pas de sens. Il y a, dans ce petit espace, une naissance, une joie, des larmes, un cri, une souffrance indescriptible des parents.
Toutes les émotions sont réunies et exacerbées.
Comment conjuguer naissance et mort dans un même espace, dans un même temps ?
Tout se joue dans une forme de dimension parallèle, hors du temps, hors des saisons, hors de la vie.
Ces petits corps sont frêles et transparents, on peut aperçevoir leur capital veineux, fin comme une toile d'araignée. Les battements du cœur sont visibles sous la peau trop neuve. La vie est rythmée par le bruit incessant des scopes.
Ces petits êtres nés trop tôt ou trop mal, pour qui la pesanteur, la lumière et le bruit sont des agressions perpétuelles, sont privés du contact de leurs parents. Leur petite vie débute dans une atmosphère froide et aseptisée, loin de la peau et du sein maternel.
Les parents démunis sont suspendus au souffle de leur enfant, un souffle si fragile, parfois assistés par des machines deux fois plus grande que leur incubateur. Des parents funambules sur le fil de la vie de leur bébé.
Ces enfants sont seuls et perdus dans l'immensité de la médecine qui lutte coûte que coûte contre cette mort injustement prématurée.
Quel language utiliser face à l'incompréhensible ?
Comment soutenir l'Insoutenable ?
Tout est à créer dans ces moments si particuliers. Un langage nouveau s'exerce et se renouvelle constamment.
Je me souviens de cette petite fille, venue au monde comme n'importe quel enfant en bonne santé. Dans la salle de travail, sur le sein de sa mère, cette petite fille a fait un AVC hémorragique massif. Sans crier gare, à une heure de vie, le vie bascule.
Elle est arrivée dans notre service très rapidement mais nous savions tous que c'était peine perdue.
La souffrance des parents etait telle que je n'ai pas trouvé de mot pour les soulager.
Il faut accueillir, écouter, rassurer mais rassurer de quoi quand le même jour une petite vie toute neuve synonyme de joie bascule en un jour noir et froid ?
Au bout de 2 ou 3 jours, cette petite vie s'éteint, insoutenable pour les parents, ils me délèguent les dernières heures. Tandis qu'ils vont chercher du réconfort dans les cieux et les prières, moi, j'ai emmailloté ce bébé et dans mes bras, j'ai accompagné son dernier souffle.
Puis, je lui ai fait un dernier bain, je l'ai séché, mis un pyjama blanc, je l'ai de nouveau emmailloté et j'ai appelé les parents.
Je n'ai jamais ressenti autant de reconnaissance, de chaleur et de regards bienveillants de la part d'une famille, que depuis ce jour là.