vendredi 19 juin 2020

Un silence musical

Ses yeux sont bleus et pétillants.
Ses yeux sont la preuve qu'elle vit encore. Ils sont aussi lumineux que son corps est éteint. 
Ses yeux vivent, respirent, parlent, rient et pleurent. Comme un sens qui prend le relais d'un autre sens défaillant, ses yeux sont tout, un concentré de sa vie dans le regard. 
Son corps est presque mort. Il s'efface. Il fonctionne à peine, juste pour les fonctions vitales.
Il se rappelle à elle lorsque le souffle se fait plus court. Il ricane, il lui fait savoir qu'il est encore là et qu'il va la faire mourir bientôt.

Sa peau est laiteuse, comme de la porcelaine, fragile et silencieuse. Elle est le reflet de ce corps qui ne veut plus vivre.
Elle a des mains fines. Elles restent là où je les pose. Sur son ventre, sur un coussin. Elles obtempérent, c'est moi qui décide.

Coincée dans un corps lourd qui n'est plus qu'une enveloppe, comme dans un scaphandre, seule au fond d'un océan où personne ne l'entend. 
Comme dans un scaphandre, le voyage en moins.
Quoi que ?

Si.
Le voyage est là, présent dans ses yeux et ce qu'elle donne à travers eux. Le partage est immense, bien plus riche qu'avec des paroles.

Le voyage est musical dans son silence.
Nous écoutons du classique. Le canon de Pachelbel sous toutes ses formes. Il nous transporte, autant nous qu'elle. C'est un fil de notes entre elle et nous. 

Un blanc lumineux.
Un silence musicale.
Un regard bavard.
Une rencontre.

samedi 6 juin 2020

Regards

Les familles et moi échangeons souvent.
Je leur parle, pour la plupart, de choses difficiles.
Pas que, bien sûr, mais souvent.

Lorsque j'échange avec un proche, je l'observe.
L'inquiétude, le questionnement, la tristesse se lisent dans les yeux, ces miroirs, le reflet des émotions.
Alors parfois je m'échappent sur le reste du visage, le nez, la bouche  les joues. 
Les yeux, trop intimes pour moi parfois, me sondent, me demandent ce que je ne peux pas dire.

Mais depuis des semaines, le masque m'oblige à fixer le regard. Je n'ai plus d'échappatoire.
Je regarde l'intensité de tout ce qui se dit par les yeux et mes propres mots se bousculent et échouent dans le tissu bleu de mon masque.
Le regard me semble plus dense, plus bavard, plus demandeur, parfois suppliant.

J'ai croisé un regard plein de larmes cette semaine. Je connaissais bien le visage caché sous le tissu en coton.
Il y a eu peu de mot mais une main serrée.
Nos yeux se fixaient, les siens embués, les miens compatissants.

Cette fois-ci, le masque m'a sauvée des banalités. Je n'ai pas baissé les yeux. J'ai regardé ses larmes et serré sa main.


L'éthique de l'écriture