vendredi 31 janvier 2020

Parfois, nous pleurons

Oui, parfois, le soignant pleure.

Mais quelle est la raison veritable ?

Est-ce une accumulation de stress ? 
Une sensation de "vouloir bien faire" inachevée ?
Un transfert sur sa propre mort, celle de son proche ?
Une accumulation de la tristesse de l'autre ?
Est-ce dù à des situations difficiles, des familles particulières, des différences qui nous laissent perplexes ?
Est-ce le visage crispé de douleurs ?
Est-ce le corps déformé par la maladie ?
Est-ce l'accumulation de morts, parfois jusqu'à 3 voire 4 disparitions par jours ?
Est-ce la banalisation de la perte, la banalisation du corps vide, la fatalité ?
Est-ce un manque de dignité persistant malgré nos efforts d'être un bon professionnel ?

J'imagine que c'est un peu tout ça.
Une intrication de plusieurs facteurs qui font que, parfois, le soignant pleure.

Nous savons laisser la peine à celui qui la porte. 
Nous savons qu'elle ne nous appartient pas. Que sa propre peine doit être vécue et que, quoi qu'il arrive, quoi que nous fassions, il est seul à vivre cet événement.

Peut être que, pour se protéger, pour prendre en soins de façons optimale sans se faire du mal c'est d'accepter que nous ne pouvons pas tout contrôler. Que la mort est naturelle, même à 40 ans. Injuste mais naturelle.
La mort fait partie de la vie, qu'il y a un début et une fin. Même si cette vie est courte, c'est le jeu de la vie.

Peut être que pour se protéger, pour prendre en soins de façons optimale sans se faire de mal c'est de mettre la barre moins haute.

Qu'est ce qu'un bon soignant ?
A mon sens et en priorité, Être sois-même digne et humble pour pouvoir préserver leur dignité à eux.
Être à l'écoute bien sûr mais parfois aussi se faire discret, savoir s'effacer.
Être présent au bon moment, pas forcément tout le temps. 

Être observateur, savoir soulager sans viser la perfection.






mardi 28 janvier 2020

La mort commune mais singulière

Je passe mes journées à passer d'une chambre à une autre.
J'adapte mon sourire aux circonstances de l'instant.
Le couloir du service est comme l'arrière scène d'un théâtre ou les rôles se suivent et ne se ressemblent pas.
Dans le couloir, j'ai quelques secondes pour mettre mon costume de scène qui sera le plus adapté à la personne qui occupe la prochaine chambre. La prochaine scène donc.
C'est mon quotidien. 
Le matin, je me prépare à passer d'une chambre à une autre.
Le scénario est peu préparé à l'avance.
Derrière chaque porte il y a un visage différent.
Moi, j'ai mon costume qui me protège. Je le retire chaque soir.
Lui, il a un visage de cire qu'il n'a pas choisi.
Moi, c'est mon quotidien, lui, c'est sa vie. 
Des heures courtes et interminables à la fois.

Je passe d'une vie à une autre, rythmées par des symptômes et des prescriptions.
C'est mon métier, je l'ai choisi.
Je passe d'une mort à une autre, c'est mon quotidien. 

Comment ne pas rendre cette mort unique et singulière en une mort commune parmi tant d'autres ?
C'est mon quotidien mais pas le leur et je ne veux pas que ce quotidien devienne ma routine.


lundi 27 janvier 2020

Tant qu'on ne sait rien

"Tant qu'on ne sait pas, qu'on ne sait rien 
Tant qu'on est de gentils petits chiens 
Tant que la petite santé va bien 
On n'est pas la queue d'un être humain 

Tant qu'on ne sait pas le coup de frein 
Qui vous brule à vif un jour de juin 
Tant qu'on ne sait pas que tout s'éteint 
On ne donne quasi jamais rien 

Tant qu'on ne sait pas que tout éreinte 
Tant qu'on ne sait pas ce qu'est la vraie crainte 
Tant qu'on n'a jamais subi la feinte 
Ou regardé pousser le lierre qui grimpe 

Tant qu'on n'a pas vu le ciel d'étain 

Flotter le cadavre d'un humain 
Sur un fleuve nu comme un dessin 
Juste un ou deux traits au fusain 

C'est une chanson, une chanson 
Pour les vieux cons 
Comme moi, petite conne d'autrefois 
C'est une chanson, une chanson, 
Qui vient du fond, de moi 
Comme un puits sombre et froid 

Tant qu'on ne sait pas qu'on est heureux 
Que là haut ce n'est pas toujours si bleu 
Tant qu'on est dans son nuage de beuh 
Qu'on ne se dit pas je veux le mieux 

Tant qu'on n'a pas brulé le décors 
Tant qu'on n'a pas toisé un jour la mort 


Tant qu'on a quelqu'un qui vous sert fort 
On tombe toujours un peu d'accord 

C'est une chanson, une chanson 
Pour les vieux cons 
Comme toi, petit con d'autrefois 
C'est une chanson, une chanson, 
Qui vient du fond, de moi 
Comme un puits sombre et froid 

Tant qu'on ne sait pas ce qu'est la fuite 
Et la honte que l'on sait qu'on mérite 
Tant qu'on danse au bal de hypocrites 
Qu'on n'a jamais plongé par la vitre 

Tant qu'on n'a pas vu brûler son nid 
EN quelques minutes à peine fini 
Tant qu'on croit en toutes ces conneries 

Qui finissent toutes par "Pour la vie" 

benjamin biolay

samedi 25 janvier 2020

Un baiser

Et cette femme qui n'entend plus.
Je m'approche de son oreille pour lui parler et elle ? Elle m'embrasse avec tendresse.
L'incompréhension à parfois du bon.

De la chambre 01 à 12

Je vois ces coprs déformés, amaigris, ou ronds, des taches parfois rouges, parfois bleues, parfois blanches.
Un corps qui n'existe déjà plus. Un corps honteux pour certains, laid pour d'autres. Négligé ou oublié.
Un corps qui existe trop.
Trop lourd, trop lent, trop présent, trop douloureux.

Je vois ces visages parfois crispés, parfois fermés, comme invisible. Un visage envahis, exprimant l'incompréhension,  l'angoisse,  la tristesse, la douleur morale.

Mais aussi parfois des visages détendus, souriants, apaisés, en attente d'une finitude acceptée.

Et moi, je suis là, à la fois actrice et spectatrice, où il faut trouver des mots qui n'existent pas.
Je suis de celles qui soulagent et annoncent des mauvaises nouvelles.
Je suis de celles qui essaient d'apporter une image, une reprensatation de la mort acceptable.
Je suis de celles qui accompagnent, soignent, écoutent et acceptent la progression d'une vie raccourcie sans annoncer la fin que je connais déjà par coeur.

Je parle de déchéance et de mort mais dans ce temps hors du temps, dans cette "largeur du temps", la vie persiste, elle est là, intense, dense, un concentré de vie vivante que chacun créé, au fur et à mesure,  comme une scène théâtrale d'improvisation.

Ces âmes abîmés sont belles, courageuses et humbles. De l'humanité dans 12 chambres.
Et j'espère que je leur apporte autant qu'elles m'apportent.

jeudi 23 janvier 2020

Chambre 03.

Nous avons dans le service un homme qui s'éteint doucement.
Il ressemble à un homme d'Auschwitz, il est cachectique, les joues creuses, le teint pâle.
Il dort beaucoup, la bouche ouverte.
Il faut s'approcher pour voir qu'il respire encore.

Un ami à lui arrive, va le voir puis revient. 
Il me fait part de sa tristesse.  " Nous jouons aux cartes tous les jeudis. Demain, c'est jeudi."

Je le raccompagne dans la chambre du malade, je frappe, je rentre et je dis, bonjour Mr, un ami vient vous voir.
Il ouvre les yeux, et, en prenant les mains de son visiteur, il dit, oh mon ami Léopold ! Mon ami Léopold, c'est mon ami Léopold !

Il y a de émotion dans cette chambre.

L'éthique de l'écriture