mardi 7 avril 2020

La lorgnette

C'est un homme jeune. 
Il est grand et devait être massif, il a une mâchoire carrée et de grandes mains. 
L'une d'entres elles a des ongles un peu plus long parce que c'est un joueur de guitare.
Il n'a plus de cheveux, probablement disparus  à coup de chimiothérapie. 
Ou peut-être pas ?

Il est peu réactif. Sa vigilance s'efface peu à peu, comme estompée par une gomme d'écolier, à chaque convulsion.
Il peut souffler quelques mots, portés dans l'épaisseur de sa fatigue, parfois ces mots arrivent à mon oreille.

Il y a un brouillard de silence autour de nous, l'inconnu de nos deux vies qui se côtoient à un instant T. 
Le Covid créé un silence et une inconnue plus dense, il empêche sa mère et sa soeur de venir le voir. Le Covid fait barrière entre nous, les familles et la possibilité d'apprendre à mieux nous connaître.

Alors je le regarde et je l'imagine dans sa vie d'avant. 
Par le trou de la lorgnette, je pense à lui comme à un souvenir commun.

Je l'imagine jouer de la guitare.
Je l'imagine pleinement vivant, souriant, amoureux, concentré, contrarié, exalté, peut être parfois saoul, endormi, mal coiffé, entouré, ou seul, aimé ou détesté, mal fagoté, enjoué, au supermarché, en train de lire.

Je ne sais pas pourquoi, j'ai beaucoup d'empathie pour cet homme.
Surtout depuis qu'il a battu la mesure sur "with or without you" avec moi.


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