samedi 29 février 2020

La mort aseptisée.

Après chaque départ, après chaque mort, il faut nettoyer et désinfecter la chambre du sol au plafond. 
Les murs,  la télévision, les pieds de la table, le dossier de la chaise, le lit, le matelas, les télécommandes, les poignées, le canapé lit dessus/dessous, les barres du lit, la fenêtre.
Et j'en passe.

Outre le risque d'infection ( La mort est-elle contagieuse ?), Je me demande à quel point nous n'essayons pas de faire disparaitre la maladie, la souffrance, la mort, à coup de balayette.

Hier, j'ai nettoyé une chambre dans laquelle un femme est morte quelques heures avant.
Je suis entrée et je l'ai trouvée horriblement vide. J'ai nettoyé, frotté les surfaces et les recoins et me demandant pourquoi ?
En passant, mon regard s'est arrêté sur un reste de fleurs fanées. 
Des fleurs des champs qu'un proche avait certainement cueillies avec pensées et amour. Ces fleurs qui n'ont jamais été vues par cette femme déjà presque partie.  Des fleurs fanées pour une vie fanée.
Et moi ? Je les vois et je dois les jeter et désinfecter.
Je dois nettoyer les murs,  la télévision, les pieds de la table, le dossier de la chaise, le lit, le matelas, les télécommandes, les poignées, le canapé lit dessus/dessous, les barres du lit, la fenêtre.
Et j'en passe, pour accueillir une nouvelle fin de vie.

dimanche 23 février 2020

Michel Sardou

C'est un homme de 77 ans.
Il a subit une cascade de complications, dont un AVC sévère, suite à une intervention chirurgicale relativement banale.

C'est un homme de 77 ans avec des troubles de la perception de son propre corps. Il a besoin d'être enveloppé, contenu et rassuré.
Il a un corps maigre, je peux deviner, sous mes mains, chaque contours de ses os. 

Depuis cet AVC, il vit ailleurs, il a une cécité qui lui permet de vivre dans un autre monde. Il voit des formes et des couleurs.
Il me parle de tout, de rien. Mais surtout de rien puisque nous n'avons plus le même language.

Il reste un language universel, celui de la musique. 
La voix grave du violoncelle qui fait trembler.
Les larmes des trompettes brisant le silence.
La pluie du piano, ses lenteurs et ses tempêtes.
Les cœurs des choristes, leurs voix dans leurs mains.
Et puis il y aussi... Michel Sardou.

La musique proposé lors des soins est un moment privilégié. La musique est choisie en fonction des goûts des patients, évidemment.

Michel Sardou donc.

Et "je vais t'aimer".
The must of love.

Allez, pour le plaisir de chacun, je partage avec vous la musique qui réveille tous les sens de mon patient.

Le soin se passe idéalement bien.
Ma collègue est moi sommes spectatrices d'un homme qui vit la chanson, il bat la mesure avec son pied, chante un mot par-ci, par-là.
Il profite du son et des massages que nous lui prodiguons.
C'est un vrai partage d'émotions.
Nous vivons cet instant avec lui.

Alors que nous le tournons sur le côté, de ses mouvements anarchiques, il me caresse les fesses et il (me) dit :
"Je vais t'aimer, ce matin."
 
😅

mercredi 19 février 2020

l'Everest

Hier soir, j'ai regardé le film l'Everest.
Emmitouflée dans mes microbes grippaux, j'ai regardé le courage et l'insouciance (?) de ces hommes qui bravent la nature.
C'est tiré d'une histoire vraie. Beaucoup d'hommes et de femmes ont perdu la vie sur le plus haut sommet du monde.
Le film se termine sur une image d'un corps froid face à une vue splendide. Il s'est endormi à jamais. En chien de fusil.
J'ai été prise d'une angoisse profonde et je n'ai pas pu m'interdire de faire le lien avec mes patients. 
Leur Everest à eux, mais pas préparé ni choisi.

Il faut une force incroyable et un mental d'acier pour combattre les éléments de la nature, tout comme la maladie grave.
Lorsqu'elle se déchaîne, l'homme est petit. 
Elle est imprévisible, surprenante parfois vicieuse.
Elle se faufile malgré le béton armé des hommes, une marguerite entre deux pavés.
Elle est forte, intelligente, prend souvent le dessus et gagne, parfois.
Mais elle permet aussi de se recentrer, de vivre des choses vraies, de profiter des moments vivants.

La différence entre la nature et la maladie, c'est que la nature est belle.


dimanche 16 février 2020

Un air de printemps

Un dimanche mi février.
Je profite des premiers rayons de soleil d'un printemps trop précoce.
Je suis sur ma terrasse, je sens l'air encore frais d'un hiver paresseux en concurrence avec un soleil déjà presque chaud.
Le chant des oiseaux me ramène à une conversation avec une de mes patientes atteinte d'un cancer du pancréas métastasé.

La renaissance de la nature me fait penser au visage lumineux de cette femme.

Je pourrais la comparer à cette lumière, faveur du printemps, à l'aube de sa dernière ligne de vie.
Elle a fait le choix de ne pas se soigner, à quoi bon avec un cancer du pancréas ?

Elle est souriante et profite de l'instant présent.
Elle se réjouit d'un lever de soleil, de la lecture de son livre, de sa petite-fille née le 1er février.
Elle illumine sa chambre par sa gaité parfois teintée de larmes.
Des larmes de quitter les siens, des larmes d'une vie trop courte mais bien vécue.
Des larmes de faire vivre un nouveau deuil aux siens, 15 ans après la mort de son mari.

Mais des larmes souriantes, des larmes pleines de dignité et de respect.
Des larmes avec un sourire persistant, un sourire de force et de courage qui me font toute petite.

Elle est rentrée chez elle ce week-end, pour une dernière marche le long de l'océan.
Un de ses petits bonheurs de sa vie.
Sa luminosité va rencontrer celle du printemps. Je pense à elle, le visage éclairé par le vent et l'écume.
Son petit bonheur devient le mien.

samedi 15 février 2020

Ces choses au fond de nous

On me demande régulièrement pourquoi je travaille en soins palliatifs. 
On me dit souvent que c'est vraiment difficile et que, eux, ne pourraient pas travailler dans ce milieu.

L'humain est capable du meilleur comme du pire. Je n'aime pas la foule, je n'aime pas l'effet de groupe mais j'aime l'être humain. 

Lorsque l'humain est face à lui même, lorsqu'il est affaiblie, lorsqu'il est brut de pomme, entier, lui-même, sincère et sans filtre, L'humain est riche et le partage est fort.

Quand la vie se montre plus courte, injuste et douloureuse, elle se veut aussi plus intense, plus vraie, sans faux-semblant.
Dans un service de soins palliatifs, il y a un concentré de vie et de partage.

C'est comme un tube de lait concentré, un fruit de la passion, un bouquet de mimosas.

Ce partage, ce lien avec l'être humain, même s'il est imposé par la vie, même s'il naît d'une souffrance et se termine par une perte, pour moi, il est le bourgeon de ma propre vie.


jeudi 13 février 2020

La musique que j'aime... elle vient de là...

Du haut de sa pathologie, il arrivait à battre la mesure avec son pied lorsque je chantais à plein poumons les chansons de Johnny, avec le balais en guise de micro.
Il était toujours souriant et doux.
C'était un homme bon et gentil.
Il aimait Johnny, il s'en est allé, comme lui.

mercredi 12 février 2020

Quand elle est attendue

Hier, j'ai exprimé toutes mes condoléances à une famille qui venait de perdre leur maman.
A mon grand étonnement, j'ai serré chaleureusement leurs mains de mes deux mains avec un sourire sur le visage.
Je me suis trouvée cocasse.
Puis, en les voyant, j'ai compris que je répondais à leurs sourires.
Cette mort était attendue, préparée, acceptée et apaisée.
Hier, j'ai vécu une mort souriante.

mardi 4 février 2020

De la vie, je vous dis !

Quand je dis qu'un service de Soins palliatifs est plein de vie, on ne me croit pas.

Pourtant, aujourd'hui, c'était une très belle journée pleine de vie. 
Entre joie, clin d'œil, humour, culture et musique.
Oui, tout ça en une seule journée !

Chambre 2. "Perplexité".
- "bonjour Madame, avez-vous bien dormi cette nuit ?"
- Son visage s'illumine : " oh que vous êtes belle !" Me répond-t-elle. 
(Là, quand même, je me demande si elle est bien lucide cette petite dame !!)
- "heu... Avez-vous mis vos lunettes ce matin !??"
- Elle rit de bon cœur et me dit : "c'est votre bonté qui vous rend belle !!"
- Mouais.
Sur son adaptable trône depuis plusieurs jours une carte avec la photo de Jésus-Christ. Une phrase illustre le portrait : "Je suis la lumière du monde (rien que ça !!)  celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie."
Du haut de mon athéisme, je reste donc... Perplexe !

Chambre 12. "Rire et familiarité".
- " bonjour Madame ! Comment allez-vous ce matin ?
Je viens pour vous masser les jambes !"
- " oh oui ! J'en profite ! Mais il faudra enlever mes chaussettes ! J'ai toujours froid aux pieds figurez-vous"
- Je lui dis avec, un clin d'œil : "Comme on dit chez moi, vous êtes un Cul-gelé !!"
Voilà comment créer un fou-rire commun.

Chambre 08. "Lecture et culture"
En entrant dans la chambre, je vois le livre de chevet. C'est une biographie de Victor Hugo. 
Je lui demande si le livre lui plaît.
- " oui, j'aime beaucoup Victor Hugo, c'est un grand homme vous savez".
Je lui fais remarquer qu'il a la même barbe qui lui. Il me répond :
- " savez-vous pourquoi il a laissé pousser sa barbe ?  Un hiver, il a pris froid et il a eu très mal à la gorge. Alors il a eu l'idée de laisser pousser sa barde pour protéger sa gorge, comme un cache-nez vous voyez !"
" C'est une anecdote qu'on trouve souvent dans la littérature !"

Depuis, je l'appelle Victor. Un lien est créé.

Chambre 03. "musique"
Aujourd-hui, nous avons propose un bain-douche à une patiente atteinte d'une sclérose en plaques.
Pour parfaire ce moment privilégié, je lui demande si elle aime la musique et quel style de musique.
C'est comme ça que nous avons écouté Albinoni Adagio en observant une patiente apaisée et clairement en train de profiter.

Chambre 05 - "Musique bis"
Nous avons un patient très âgé. Il a 97 ans.
Il a les pathologies de son grand âge : troubles cognitifs, perte de mémoire, et j'en passe.
Il est souvent seul et semble parfois perdu.
Sa famille lui a apporté un lecteur et différents CD : Dalida, C'est Jérôme (mon préféré !) Et des musiques du début du siècle dernier (oui oui).
Après la toilette et après l'avoir bien installé au fauteuil, je mets en route son lecteur CD.
Alors qu'il entend les premières notes de "la java bleue", ses yeux s'ouvrent, je le sens à l'ecoute.
Je lui prends la main et je le fais danser.
C'est alors que tout son visage s'illumine. Il me fait danser en retour, avec un beau sourire édenté.

C'était le plus beau moment de la journée.

Les soins palliatifs, c'est plein de vie je vous dis !


L'éthique de l'écriture